Election pour une nouvelle crise en Haïti ?
La sortie surprise du calendrier pour l’organisation prochaine des élections et de l’arrêté présidentiel convoquant le peuple en ses commisses suscitent de grandes interrogations. Non seulement en raison d’un Conseil Electoral Provisoire (CEP) amputé de ses deux membres mais aussi du contexte pré-électoral difficile où exécutif et législatif se trouvent toujours à couteaux tirés. Au cours de ces derniers mois, toutes tentatives de trouver un accord entre ces deux adversaires du pouvoir de l’état défaillant ont été complètement vouées à l’échec.
Cependant, ces antagonistes nous faisaient croire, dans un premier temps, que l’accord trouvé à l’hôtel d’El rancho a levé tout équivoque et rendait possible le dialogue devant favoriser la tenue prochaine des nouvelles élections en Haïti. Pourtant, les faits prouvent le contraire.Au vu et au su de tout le monde,ce prétendu accord ne fait que donner une coup de pouce à certains opportunistes invétérés pour se faire une place au pouvoir et, du même coup, faire durer le suspensejusqu’au bout.
Avant même la tenue des élections, le pays sombre dans une crise que les media dénomment crise pré-électorale. Menacée de faire cavalier seul par l’application de l’article 12 dudit accord si les sénateurs refusaient de lui tendre la mainpour l’organisation des élections, le président a passé de la parole à l’acte en publiant l’arrêté qui renvoie le peuple en ses commisses le 26 octobre à la fin de cette année.Un acte qui vient juste confirmer que le président ignore complètement l’ampleur de cette crise dans laquelle s’embourbe le pays, bien que tous les paramètres sociopolitiquesnous obligent à croire que la situation est extrêmement grave, et que les prochains jours sont comptés pour le pays . Est-il vraiment nécessaire d’organiser des élections en vue d’ajouter à notre palmarès de crise une nouvelle crise politique? Ne faut-il pas résoudre d’abord la crise pré-électorale avant d’avancer vers les élections ? Cette élection sera-t-elle dans l’intérêt de la population haïtienne ?
Sincèrement, il faut l’avouer, peu de pays démocratique expérimente aussi longtemps ce lourd fardeau des élections qui pèsent sur nous depuis que nous nous choisissons, il y a de cela plus de vingt ans, de sonner le glas de la dynastie duvaliériste et d’entrer résolument dans cette mouvance démocratique. Tout montre que nous payons le prix d’une politique ‘’ôtes toi que je m’y mette’’ indignement à la hauteur de cette dimension historique. La rupture n’était pas consommée puisqu’aucun de ses acteurs ne réussit à résister à la tentation et à la hantise de la possession du pouvoir. Avec des assoiffés de pouvoir, des cupides et pseudo-socialistes convertis en apprenti dictateur, le pays allait vite connaitre une kyrielle d’élections tronquées conduites par des CEP bidons formés de pièces et de morceaux.
Si l’élection dans tous les autres pays s’organise en vue de répondre à certains défis nationaux issus de crises politiques, en Haïti l’élection est devenue la véritable pomme de nos discordes politiques. Autrement dit, élection et crise politiques sont inséparablement liées comme dans le pire et dans les mauvais jours. Jamais une élection en Haïti n’a eu lieu dans unesprit de renforcement des institutions démocratiques et en vued’assurer la libre alternance démocratique.
Ce n’est plus un secret que tous nos chefs d’état qui quittent le pouvoir trouvent sur tous les coups leur menant à assurer le contrôle du pouvoir politique qui va les succéder. Durant ces dernières décennies, seul Aristide a fait mieux.
Par son charisme, il a réussi à imposer Préval comme président qui, par la suite, a su faire ses preuves en politique. Après 1986, il est devenu le seul président d’Haïti qui est arrivé, sans interruption, à conduire à terme ses deux mandats présidentiels. Pourtant, ce qui nous parait un peu paradoxal, le président Aristide, lui, a connu le mauvais sort. Son charisme politique ne suffit pas à l’aider, devant la pression des forces politiques d’alors, à ternir ses deux mandats présidentiels. Son acharnement pour le pouvoir, sa cupidité, son autoritarisme, sont autant d’éléments qui, entre autres, ont contribué à son échec et à son départ pour l’exil durant ses deux mandats. Son dernier mandat terminé dans des conditions difficiles, le président Préval pensait que son intelligence politique lui suffit de conduire le peuple vers l’inacceptable. L’option de passer le pouvoir à son beau fils est vouée à l’échec. Ce n’est pas l’alternative de l’heure. Elle a soulevée l’indignation et la colère même au sein de son parti. Comme la société haïtienne, l’international ne manifeste aucun intérêt dans ce plan personnel qui s’opère au mépris total de l’intérêt de la collectivité nationale. L’histoire a décidé autrement. Ce coup raté lui a fait perdre sa réputation de chef d’état le plus intelligent avec deux mandats réussis sans connaitre de l’exil. Son obsession maladive de passer le pouvoir à son beau fils et la trahison de ses alliés naturels pour rendre possible ce plan machiavélique ont changé son rêve dynastique en pire cauchemar. Et par voie de conséquence, le pays basculait dans un régime bandit légal quasi-autoritaire, avec un président complètement extraverti pensant pouvoir instaurer un climat de peur et (de terreur). C’est tout simplement impossible et anachronique Monsieur le président. Le temps de ti bobo et Ronald Cadavre est révolu.
En fait, s’il y a un point qui diffère ce pouvoir actuel de ses prédécesseurs c’est bien sa capacité à contrôler des media sociaux pour manipuler l’opinion nationale et internationale. Maitrisant les moyens technologiques de l’information et de la communication, ce pouvoir, aidé par une équipe propagandiste hors pair, crée d’énormes confusions. La dextérité avec laquelle il a facilement promu son fameux slogan » Ayiti ap avanse » n’a cessé de rallier des adeptes à sa cause personnelle. Pourtant, beaucoup d’entre eux oublient très vite que récemment le président a reconnu que la caisse de L’Etat était vide. Et que beaucoup de projets que legouvernement initie restent, jusqu’aujourd’hui, inachevés. Certains d’entre eux sont inscrits dans une intention de favoriser l’enrichissement desamis et famille fidèle à ce pouvoir. La politique d’installation de lampadaire a été initiée à cette fin.Il faut dire même ceux qui sont très intéressés à la politique haïtienne se laissent prendre par ce matraquage médiatique et propagandiste. Il en est de même de ceux qui vivent à l’extérieur croyant que tout est rose dans le pays. Pourtant, leur illusion prend fin quand ils rentrent au pays pour une visite ; ils se font surprendre par les séquelles visibles laissés par le passage du tremblement de terre du 12 janvier 2010, la misère de la population haïtienne qui augmente et les bidonvilles qui sont livrés au banditisme, signes visible de l’inexistence de l’Etat.
Dans les faits et dans l’art de mentir à la nation, ce pouvoir en place n’a rien à envier à ses prédécesseurs à l’exception du président Préval qui a dirigéle pays sans faires des promesses qu’il ne peut tenir. Du point de vue politique et électoral, on retrouve des traits visibles de ressemblances :
• volonté de diriger le pays sans le parlement
• répressions systématiques contre les opposants politiques
• dilapidation du trésor public
• tentative de museler les journalistes
• vassalisation du conseil électoral
Pour revenir à la case départ, même dans ce contexte de crise pré-électorale où toutes les conditions montrent que le pays se dirigera tout droit vers une nouvelle crise politique, les élections sont possibles pour plusieurs raisons, en reconnaissant, toutefois, que le calendrier présenté par le CEP peut être révisé à tout moment. Mais la raison fondamentale est que les deux entités du pouvoir de l’Etat ont intérêt à organiser les élections. Premièrement, quelle que soient les stratégies de ’’hold up’’ électorale envisagées, l’exécutif ne peut passer par quatre chemins, les élections doivent s’organiser dans les meilleurs délais possibles en vue d’éviter la sanction de la communauté internationale qui reste très attachée aux principes démocratiques. Deuxièmement, en dépit de la position extrémiste de l’opposition haïtienne, elle a intérêt à prendre part aux élections en vue de s’approprier plus de place au parlement et de chercher à se mettre dans une position confortable pour les nouvelles élections présidentielles. Qu’en est-il de la population haïtienne? En a-t-elle vraiment intérêt? Catégoriquement non, nous répondons.Une explication historique pourrait confirmer cette affirmation. De 1986 à nos jours, le pays a compté pas mal d’élections. Avec de CEP bidons et partisans, le résultat des élections fait toujours l’objet de contestation. Par voie de conséquences, le pays est secoué par de vaste mouvement de contestation réclamant l’annulation des élections. Ces contestations transforment toujours le pays en une vaste scène de combat où pouvoir et opposition nous offrent un spectacle malheureux qui ne fait que contribuer à appesantir la douleur des pauvres. Et aussi longtemps que dure cette crise, notre économie précaire en paiera les frais. Les conséquences sont la présence d’une force multinationale sur le territoire confirmant l’hypothèse que nous ne pouvons diriger le pays sans l’assistance militaire étrangère. Donc, peut-on éviter cette crise imminente ? Catégoriquement la réponse est non. D’une part, l’élection est inséparablement liée à la démocratie. La dictature est révolue parce qu’elle constitue un système fonctionnant au mépris catégorique des principes fondamentaux de droit de l’homme. Donc, la crise politique postélectorale ne peut pas être évitée au regard de cette perspective, d’une part. Et d’autre part, à trois ans de la fin de ce pouvoir en place et de lourdes accusassions de corruption et de trafic de stupéfiant qui pèsent sur la famille présidentielle, c’est l’heure idéale pour le président de monter un Conseil Electoral Provisoire (CEP) en vue d’échapper aux pressions internationales de poursuites judiciaires. Donc, Tout montre que le décor est bien planté pour une lutte électorale très surchauffée. Et tout le monde le sait qu’avec son manteau carnavalesque en « sweetmicky, Martelly ne perd pas. Mais qui sera le perdant ?
Sylvens Alfred
Maitrise en droit international à Saint Thomas University (florida)
Email : salfred@stu.edu